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La grotte Cosquer sauvée des eaux

Nicolas Delesalle

La grotte Cosquer, trésor découvert en 1985 par le scaphandrier Henri Cosquer dans une calanque de Cassis, est menacée par la montée des eaux qui la grignote inexorablement. D’où un projet titanesque : relever chaque détail pour reconstituer la caverne dans un musée de Marseille. Ouverture  en 2022.

Pour reconstituer l’antre marin dans la Villa Méditerranée, les artisans retrouvent les gestes de la préhistoire Dans l’atelier d’Arc&Os, à Montignac, le 22 janvier. La fabrication du panneau des chevaux va nécessiter près de deux mois de travail. La peinture sur projection photographique, une technique des temps modernes qui, alliée aux images en 3D, permet de reproduire au plus près les fresques. En tout, près de 500 gravures et peintures seront ressuscitées dans trois ateliers différents. Tous les blocs partiront ensuite pour Marseille, afin d’être assemblés.Ci-dessus: dans l’atelier d’Arc&Os, à Montignac, le 22 janvier. La fabrication du panneau des chevaux va nécessiter près de deux mois de travail.
Pour reconstituer l’antre marin dans la Villa Méditerranée, les artisans retrouvent les gestes de la préhistoire Dans l’atelier d’Arc&Os, à Montignac, le 22 janvier. La fabrication du panneau des chevaux va nécessiter près de deux mois de travail. La peinture sur projection photographique, une technique des temps modernes qui, alliée aux images en 3D, permet de reproduire au plus près les fresques. En tout, près de 500 gravures et peintures seront ressuscitées dans trois ateliers différents. Tous les blocs partiront ensuite pour Marseille, afin d’être assemblés.Ci-dessus: dans l’atelier d’Arc&Os, à Montignac, le 22 janvier. La fabrication du panneau des chevaux va nécessiter près de deux mois de travail. © Patrick Aventurier
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Un robot pour sculpter les panneauxen polystyrène, qui seront recouverts de résine. A Montignac, en Dordogne, dans l’atelier du plasticien Alain Dalis, fondateur d’Arc&Os
Un robot pour sculpter les panneauxen polystyrène, qui seront recouverts de résine. A Montignac, en Dordogne, dans l’atelier du plasticien Alain Dalis, fondateur d’Arc&Os © Patrick Aventurier
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Pigments naturels et verre pilé. Le secret pour rendre l’aspect brillant de la calcite. Les gravures de chevaux sont exécutées par Lorena Acin.
Pigments naturels et verre pilé. Le secret pour rendre l’aspect brillant de la calcite. Les gravures de chevaux sont exécutées par Lorena Acin. © Patrick Aventurier
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La gravure au silex. Sous la main de Julie Gaulon naît un bouquetin. On trouvera aussi des phoques et des pingouins. Souvenirs d’une Méditerranée à l’époque glaciaire.
La gravure au silex. Sous la main de Julie Gaulon naît un bouquetin. On trouvera aussi des phoques et des pingouins. Souvenirs d’une Méditerranée à l’époque glaciaire. © Patrick Aventurier
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Du charbon de bois de pin sylvestre pour le dessin. Dans son atelier de Toulouse, Gilles Tosello, docteur en préhistoire et diplômé en arts graphiques, prépare ses couleurs.
Du charbon de bois de pin sylvestre pour le dessin. Dans son atelier de Toulouse, Gilles Tosello, docteur en préhistoire et diplômé en arts graphiques, prépare ses couleurs. © Patrick Aventurier
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Pour reconstituer l’antre marin dans la Villa Méditerranée, les artisans retrouvent les gestes de la préhistoire Dans l’atelier d’Arc&Os, à Montignac, le 22 janvier. La fabrication du panneau des chevaux va nécessiter près de deux mois de travail. La peinture sur projection photographique, une technique des temps modernes qui, alliée aux images en 3D, permet de reproduire au plus près les fresques. En tout, près de 500 gravures et peintures seront ressuscitées dans trois ateliers différents. Tous les blocs partiront ensuite pour Marseille, afin d’être assemblés.Ci-dessus: dans l’atelier d’Arc&Os, à Montignac, le 22 janvier. La fabrication du panneau des chevaux va nécessiter près de deux mois de travail.
Pour reconstituer l’antre marin dans la Villa Méditerranée, les artisans retrouvent les gestes de la préhistoire Dans l’atelier d’Arc&Os, à Montignac, le 22 janvier. La fabrication du panneau des chevaux va nécessiter près de deux mois de travail. La peinture sur projection photographique, une technique des temps modernes qui, alliée aux images en 3D, permet de reproduire au plus près les fresques. En tout, près de 500 gravures et peintures seront ressuscitées dans trois ateliers différents. Tous les blocs partiront ensuite pour Marseille, afin d’être assemblés.Ci-dessus: dans l’atelier d’Arc&Os, à Montignac, le 22 janvier. La fabrication du panneau des chevaux va nécessiter près de deux mois de travail. © Patrick Aventurier
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Un robot pour sculpter les panneauxen polystyrène, qui seront recouverts de résine. A Montignac, en Dordogne, dans l’atelier du plasticien Alain Dalis, fondateur d’Arc&Os
Un robot pour sculpter les panneauxen polystyrène, qui seront recouverts de résine. A Montignac, en Dordogne, dans l’atelier du plasticien Alain Dalis, fondateur d’Arc&Os © Patrick Aventurier
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Pigments naturels et verre pilé. Le secret pour rendre l’aspect brillant de la calcite. Les gravures de chevaux sont exécutées par Lorena Acin.
Pigments naturels et verre pilé. Le secret pour rendre l’aspect brillant de la calcite. Les gravures de chevaux sont exécutées par Lorena Acin. © Patrick Aventurier
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La gravure au silex. Sous la main de Julie Gaulon naît un bouquetin. On trouvera aussi des phoques et des pingouins. Souvenirs d’une Méditerranée à l’époque glaciaire.
La gravure au silex. Sous la main de Julie Gaulon naît un bouquetin. On trouvera aussi des phoques et des pingouins. Souvenirs d’une Méditerranée à l’époque glaciaire. © Patrick Aventurier
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Du charbon de bois de pin sylvestre pour le dessin. Dans son atelier de Toulouse, Gilles Tosello, docteur en préhistoire et diplômé en arts graphiques, prépare ses couleurs.
Du charbon de bois de pin sylvestre pour le dessin. Dans son atelier de Toulouse, Gilles Tosello, docteur en préhistoire et diplômé en arts graphiques, prépare ses couleurs. © Patrick Aventurier
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Il faut imaginer l’émotion et la crainte du plongeur professionnel Luc Vanrell sur son bateau au mouillage, dans la calanque de la Triperie, au cap Morgiou, avant qu’il essaie d’entrer pour la première fois dans le site archéologique le plus difficile d’accès de France. Il vérifie son matériel, son fil d’Ariane, ses lampes étanches, la pression de ses bouteilles, le fonctionnement de son détendeur et de son gilet stabilisateur. Il est devant l’inconnu. Quoi qu’il arrive, il va devoir contrôler son rythme cardiaque, dont dépend sa survie. L’appréhension est inévitable. Le stress, interdit. Il plonge. Le voilà, une minute plus tard, à 37 mètres sous la surface, devant l’entrée d’une grotte, sur le replat d’un tombant rocheux.

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A première vue, rien d’intéressant : pas de faune, presque pas de flore. Pourtant, il avance, pénètre dans la cavité par un porche de 1,8 mètre de haut et de 3 mètres de large, traverse une salle exiguë puis progresse le long d’un corridor qui, de plus en plus étroit, remonte peu à peu. Chaque coup de palme soulève une vase noire qui obscurcit la vue en dix secondes et reste en suspension des heures. On ne voit pas sa main, collée sur son masque.

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A cet endroit, en 1991, trois plongeurs ont perdu la vie. Les sauveteurs ont retrouvé de l’air dans leur bouteille. Perdus dans le noir profond, ils sont morts de peur, intoxiqués par le gaz carbonique de leur propre respiration haletante. Luc Vanrell ne doit pas y penser. Il ne doit pas penser au plafond minéral qui l’empêchera de remonter en cas de problème. Il ne doit pas non plus se projeter sur le trajet du retour à tâtons, le long du fil d’Ariane, lampes éteintes puisque inutiles, dans une encre épaisse, pleine de cette vase mortelle. Cette grotte se mérite, il devine qu’elle saura lui rendre la monnaie de sa trouille.

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Dont acte : après huit minutes de solitude et 116 mètres parcourus dans ce boyau ascendant qui serpente dans le ventre de la falaise, le plongeur refait surface sous une voûte miraculeuse. La fameuse grotte Cosquer. Encore 40 mètres de nage en surface et elle offre à ses regards éberlués sa beauté cachée depuis trois cents siècles. Explorée au mitan des années 1980 par le plongeur Henri Cosquer, qui lui donna son nom en la déclarant le 3 septembre 1991, cette cavité creusée dans le calcaire du parc national des Calanques de Marseille regorge de trésors de l’art pariétal.

Depuis sa plongée initiatique dans un rêve aquatique éveillé, Luc Vanrell n’a cessé de fréquenter ce lieu suspendu hors du temps

« Quand je suis entré, raconte Luc Vanrell, je me suis dit : “J’arrête la spéléo ! Dorénavant, je serai déçu en permanence.” C’était magique. Un joyau. Les scintillements, l’acoustique, la brillance des minéralisations qui se reflètent dans l’eau verte, un site à l’égal de Lascaux, Chauvet ou Altamira, en Espagne. Les émotions sont puissantes. » Le plongeur est frappé par trois chevaux dessinés, les empreintes de mains noires formées au pochoir au fond du puits terminal, les tracés de doigts d’enfants : « J’avais l’impression de reprendre une aventure vieille de 30 000 ans, c’est un lien direct avec nos ancêtres. »

Depuis sa plongée initiatique dans un rêve aquatique éveillé, Luc Vanrell n’a cessé de fréquenter ce lieu suspendu hors du temps. De 1995 à aujourd’hui, le plongeur archéologue, connu pour avoir découvert en 2000 l’épave du P38 d’Antoine de Saint-Exupéry au pied de l’île de Riou, a supervisé les missions scientifiques consacrées à cette grotte ornée dont l’accès, interdit depuis 2013, est fermé. Il en est également le conservateur en chef, le soucieux cerbère. Au côté des célèbres préhistoriens français Jean Clottes et Jean Courtin, il a documenté, photographié, cartographié et numérisé en 3D chacun de ses recoins avant la destruction annoncée. Car Cosquer n’est pas un chef-d’œuvre en péril. C’est un chef-d’œuvre condamné.

La Villa Méditerranée porte son nom. Le bâtiment de Stefano Boeri abritera la réplique de la grotte.
La Villa Méditerranée porte son nom. Le bâtiment de Stefano Boeri abritera la réplique de la grotte. © Patrick Aventurier

Le réchauffement climatique accélère la montée de la Méditerranée, entamée voilà 9 000 ans. La grotte sera bientôt noyée et, déjà, le bouleversement de l’aérologie la fragilise : « Auparavant, explique Luc Vanrell, c’était le mistral, un vent froid, sec, venant du nord, qui était dominant. Ce n’est plus le cas. Les vents du sud-est dominent, ils créent une houle qui frappe la falaise. » Cosquer est perdue. Mais Cosquer sera bientôt retrouvée. En juin 2022, le grand public, les familles comme les passionnés, les asthmatiques et même les sujets à otites auront accès à ces trésors engloutis, jusque-là réservés aux plongeurs professionnels émérites. La Villa Méditerranée, située juste à côté du Mucem, à l’entrée du Vieux-Port de Marseille, en accueillera le fac-similé. Le projet, lancé par la région Paca, est piloté par la société Kléber Rossillon : « L’entrée se fera par une copie du club de plongée d’Henri Cosquer. Le public descendra ensuite sous le niveau de la mer, puis s’installera dans des nacelles qui circuleront dans la grotte dupliquée », promet Geneviève Rossillon, gestionnaire de l’ensemble.

Pour créer leur clone numérique, les artistes utilisent les données recueillies par Luc Vanrell et ses plongeurs à l’aide de la laserométrie ou de la photogrammétrie

En attendant, tandis qu’à Paris l’atelier Stéphane Gérard, spécialiste de la reproduction de formations géologiques, sculpte à l’identique stalagmites, stalactites, colonnes et drapés, à plus de 500 kilomètres de Marseille, dans le village de Montignac, d’autres mains agiles tentent de recréer la courbe du dos d’un bison puissant, la rondeur d’une méduse ou d’un pingouin, la force des chevaux qui avaient tant ému Luc Vanrell. Les équipes qui ont déjà présidé au succès de la réplique de la grotte Chauvet s’emploient à « sauver » Cosquer. Alain Dalis a grandi au pied de la grotte de Lascaux. Plasticien passionné d’art préhistorique, il est le patron de la société Arc&Os. Pour reproduire les parois de la grotte engloutie, il utilise une fraiseuse montée sur cinq axes, qu’il a mis six ans à mettre au point : « Avec les données de la Drac [direction régionale des affaires culturelles], on fraise des volumes dans du polystyrène. Dans ces moules, on coule de la résine pour créer des coques sur lesquelles seront projetées des images 3D, centimètre carré par centimètre carré, sans déformation. Si une faille traverse la tête d’un cheval, on doit la retrouver dans la réplique », explique le plasticien.

Pour créer leur clone numérique, les artistes utilisent les données recueillies par Luc Vanrell et ses plongeurs à l’aide de la laserométrie ou de la photogrammétrie. Ainsi, ils reproduisent chaque volume, micro-strie ou petit bourrelet minéral. Et puis il y a les dessins. Alain Dalis a lui aussi un faible pour ces trois petits chevaux, proches de la surface, qui vont bientôt être lessivés par l’eau salée. « Des figures très attachantes. Ce qu’il en restera, c’est ce que nous faisons. Il faut être à la hauteur de cette grande responsabilité. » Dans le domaine du dessin, raconte l’artiste, l’émotion ne passe pas par la technique : « Il faut retrouver le geste, la rapidité d’exécution des figures. Recréer cette sensation d’aisance. Les hommes préhistoriques étaient des artistes confirmés. Ils ont appris des codes qu’on va retrouver pendant 20 000 ans, de l’Espagne à la Russie : les têtes de profil, les cornes de trois quarts, les pattes éloignées du corps, la définition d’un volume sur un plan. Des cubistes avant Picasso ! »

Des motifs restent énigmatiques : des mains ont été rayées avec violence, par une volonté claire de les annihiler. Pourquoi ? Mystère

« Ils n’ont pas dessiné pour s’amuser pendant les dimanches pluvieux », confirme le plasticien Gilles Tosello, qui, à la tête de Déco diffusion, réalise d’autres panneaux du côté de Toulouse : « Ils n’avaient pas peur de la page blanche. Leurs courbes sont parfaites, tracées du premier coup. Pour les copier, on doit comprendre qu’un trait au charbon de bois est plus dense au début du mouvement. Cela nous permet de savoir où commencer. C’est une grammaire visuelle. S’ils voyaient nos panneaux, j’aimerais qu’ils s’y reconnaissent, et même qu’ils pensent : “Ils sont fêlés, ils ont découpé des morceaux de notre grotte !” »

Titulaire d’une thèse sur l’art préhistorique, Gilles Tosello rappelle que cette grotte a été ornée pendant deux périodes principales, voilà 30 000 ans d’abord, puis 6 000 ans plus tard. A cette époque, la mer était 120 mètres plus bas et le rivage se situait à 5 kilomètres de la caverne. A la fin de la glaciation, il y a 10 000 ans, la montée des eaux a englouti les trois quarts de la cavité, qui, eux aussi, étaient probablement ornés.

Dans le quart miraculé restant, on retrouve des figures connues, comme le bison, les chevaux ou les mains, et d’autres plus rares, comme ces pingouins ou ces phoques moines. D’autres motifs restent énigmatiques : des mains ont été rayées avec violence, par une volonté claire de les annihiler. Pourquoi ? Mystère. « Leurs dessins et leurs gravures nous parlent toujours, poursuit Gilles Tosello. On est frappé et intrigué par leur beauté. Il y a cet homme tué, dessiné schématiquement, allongé avec une lance qui le traverse. Les hommes préhistoriques se représentent très peu, jamais de façon réaliste. J’aime l’hypothèse selon laquelle ces dessins font partie de récits, de mythes. » A Toulouse et à Montignac, les deux artistes plasticiens ont chacun conclu un pacte moral avec nos ancêtres, le même que le plongeur Luc Vanrell a signé en silence et sous l’eau : ne pas trahir, et sauver le lien ténu qui nous relie à eux. 

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